Icíar Bollaín

Icíar Bollaín, réalisatrice, "Les repentis" (Maixabel), "También la lluvia"
© Jean-Gabriel Aubert

Profuse et engagée, la carrière d’Icíar Bollaín commence à quinze ans sous le signe sensible et poétique de Víctor Erice dont elle est la jeune Estrella dans l’Espagne blessée des années 50 (El sur, 1983). D’elle, Erice dira qu’outre l’intelligence et la vitalité, c’est la force d’intuition qui la définit le mieux. Ces qualités d’interprétation sont quelques années plus tard mises au profit du cinéma de Manuel Gutiérrez Aragón qui la dirige dans Malaventura (1988), puis de Chus Gutiérrez (Sublet, 1991) et de Felipe Vega (Un paraguas para tres, 1992), où elle tient des rôles de femmes souvent mystérieuses, libres et résolues. Cette licence dans l’approche du jeu n’est pas étrangère, selon Vega, à sa formation autodidacte qui l’affranchit des conventions d’interprétation tout en lui conservant une grande exigence de travail. Dans Land and Freedom (1995) du cinéaste britannique Ken Loach, son rôle de milicienne de la guerre civile lui permet de s’exprimer sans schéma préétabli et avec certaine part d’improvisation, comme le note José Luis Sánchez Noriega. L’incursion dans le cinéma de Loach se révèle décisive à bien des égards puisqu’elle y fait la connaissance de Paul Laverty, qui deviendra son compagnon et le scénariste de plusieurs de ses films, tandis que la proximité avec le réalisateur stimule sa propre réflexion sur le cinéma et motive l’écriture d’un ouvrage (Ken Loach, un observador solidario). Un autre cinéaste tient une place privilégiée dans son parcours, José Luis Borau, rencontré sur le tournage de Malaventura dans une partition père-fille qui scelle une estime mutuelle. Après une première collaboration sur Niño nadie en 1997, Borau lui offre trois ans plus tard le rôle principal de Leo, un autre personnage féminin complexe qui sera un véritable défi pour Icíar Bollaín.

Forte de ces expériences, elle amorce un tournant au mitan des années 90 en passant à la réalisation. Sans cesser pour autant de jouer dans des films de temps à autre, elle réalise plusieurs courts-métrages et une première fiction, Hola, ¿estás sola?, co-écrite avec le réalisateur Julio Medem et récompensée de plusieurs prix. Elle obtient le Grand Prix de la Semaine Internationale de la Critique au Festival de Cannes de 1999 pour son second film, Flores de otro mundo, qui introduit des thématiques fortes de son cinéma (la question de l’étranger et de l’intégration, les problématiques d’inégalités sociales, l’amitié entre femmes) et met en scène un interprète qui s’avèrera récurrent dans son cinéma, Luis Tosar. Son film suivant, Ne dis rien (2003), s’empare sans manichéisme du sujet sensible des violences conjugales et de l’emprise affective – thème déjà abordé dans son court-métrage Amores que matan. Malgré un registre plus sombre, le film rencontre un large succès en Espagne et remporte sept Goya, dont celui du Meilleur film.

Une ligne engagée traverse tout son cinéma, bien qu’il emprunte des thématiques et des territoires très divers, de l’Espagne à l’Écosse du documentaire En tierra extraña (des jeunes immigrants espagnols quittent leur pays pour fuir le chômage et la récession) en passant par le Népal ou la Bolivie (l’exploitation des ressources et des hommes dans Même la pluie). Ses récits décrivent souvent des individus soumis à des systèmes de domination en raison de leur origine, leur condition sociale, ou bien leur sexe, et ouvrent des perspectives d’émancipation, personnelles (Yuli, La boda de rosa) et collectives. Le cinéma de Bollaín est fondamentalement un cinéma de personnages : ses fictions s’organisent autour de figures – au premier plan féminines – qui portent et structurent les récits, des personnages forts, pris dans des luttes et des contradictions. Même fragilisées ou brisées, ses héroïnes sont mues par une grande détermination, par une colère qui permet l’action et autorise l’idéalisme, que ce soit Pilar dans Ne dis rien qui trouve son salut dans l’art et la sororité, ou la jeune Alma d’El olivo, qui, dans un récit réaliste aux accents de fable utopique, part en quête de l’olivier de son grand-père racheté par une multinationale. Les luttes ne sont pas toujours récompensées, les questions restent parfois sans réponse, mais tout son cinéma semble dire que les combats, individuels et collectifs, valent la peine d’être menés, car leur élan dérange les préjugés, déstabilise l’ordre établi, et déplace – ne serait-ce que provisoirement – les possibles.

D’abord présente dans la programmation du Festival en tant qu’actrice chez Felipe Vega, Manuel Gutiérrez Aragón ou Víctor Erice, ses films en tant que réalisatrice ont tous été programmés par le Festival depuis Hola, ¿estás sola? en 1997. En 2000, Flores de otro mundo remporte le prix Jules Verne, tandis que Ne dis rien en 2004 et Yuli en 2019 sont plébiscités par le public du Festival qui lui offre son prix. Invitée en 2022, elle y présente deux de ses films, Même la pluie, un film qui questionne les limites de l’engagement politique et artistique, et Les repentis, qu’elle vient défendre avec celle dont l’histoire personnelle a donné naissance à son film, Maixabel Lasa. Bollaín y reconstitue par le biais de la fiction sa rencontre avec des membres repentis de l’ETA qui avaient assassiné son mari, ouvrant la voie d’un dialogue qui semblait impossible. Le film, qui avait remporté trois Goya en Espagne, obtient à la fois le prix du Public et le prix Jules Verne à Nantes où il reçoit un accueil ému. Encore une fois, la réalisatrice parvient à résoudre la délicate équation d’un cinéma engagé et populaire autour de questions sociétales et humaines fondamentales.

 

Films projetés au Festival :

 

Réalisatrice

Les repentis (2021) / 2022*   > Prix Jules Verne & prix du Public 2022

La boda de Rosa (2021) / 2021

Yuli (2018) / 2019   > Prix du Public 2019    [Dossier pédagogique]

El olivo (2016) / 2016-2017-2018    [Dossier pédagogique]

En tierra extraña (2014) / 2015    [Dossier pédagogique]

Katmándu, un espejo en el cielo (2012) / 2012

También la lluvia (2010) / 2011-2012-2013-2014-2022*   [Dossier pédagogique]

Mataharis (2007) / 2008

¡Hay motivo! – Pour ton propre bien (2004 – film collectif) / 2005

Te doy mis ojos (2003) / 2004-2008-2014   > Prix du Public 2004 & prix d’interprétation féminine 2004 à Laia Marull

Flores de otro mundo (1999) / 2000-2007   > Prix Jules Verne 2000

Hola, ¿estás sola? (1996) / 1997-2000

 

Actrice

La Noche del hermano de Santiago García de Leániz (2005) / 2006

Leo de José Luis Borau (2000) / 2001-2008-2013

Un paraguas para tres de Felipe Vega (1992) / 1994

Malaventura de Manuel Manuel Gutiérrez Aragón (1985) / 1995

El sur de Víctor Erice (1983) / 1997

 

Titre (année de sortie) / Année de projection au Festival   * film présenté par l’invité

Personnalités en relation :

José Luis Borau (réalisateur) | Anna Castillo (actrice) | Verónica Echegui (actrice) | Víctor Erice (réalisateur) | Santiago García de Leániz (réalisateur) | Chus Gutiérrez (réalisatrice) | Manuel Gutiérrez Aragón (réalisateur) | Sergi López (acteur) | Alicia Luna (scénariste) | Laia Marull (actrice) | Julio Medem (réalisateur) | Najwa Nimri (actrice) | Candela Peña (actrice) | Luis Tosar (acteur) | Paula Usero (actrice) | María Vázquez (actrice) | Felipe Vega (réalisateur)

Dans les archives du Festival :

2017, Rencontre

2016, Rencontre

Jonás Trueba - FBLO - 16/03/2012

Ouest-France
Publié le 

Nantes. Avec Maixabel, Icíar Bollaín veut « délégitimer la violence »

Icíar Bollaín présente, ce samedi 19 mars, au festival du cinéma espagnol de Nantes, son dernier film, Maixabel/ Les repentis, en présence de Maixabel Lasa, la veuve de Juan Mari Jáuregui, assassiné par l’ETA, qui en est le fil.
Lire la suite

Temps forts en images :

Pour en savoir plus :

BOLLAÍN Icíar, Ken Loach, un observador solitario, Madrid, El País-Aguilar, 1996. | BOLLAÍN Icíar, LLAMAZARES, Julio, Cine y literatura: reflexiones a partir de « Flores de otro mundo », Madrid, Páginas de Espuma, 2000. | Lechón Álvarez, Manuel, Iciar Bollaín, gracias por tus ojos, Festival Joven Cine Español de Albacete, 2004. | SÁNCHEZ NORIEGA, José Luis, Icíar Bollaín, Madrid, Cátedra, 2021. | VERA, Cecilia, BADARIOTTI, Silvia, CASTRO, Débora, Cómo hacer cine.3, « Hola, ¿estás sola? » de Icíar Bollaín, Madrid, Editorial Fundamentos, 2003.

La Reconquista : Itsaso Arana (actrice)

La Virgen de agosto : Itsaso Arana (actrice + co-scénariste), Sigfrid Monleón (acteur)

Los exiliados románticos : Sigfrid Monleón, Luis E. Parés (acteurs)

Todas las canciones hablan de mi : Bárbara Lennie (actrice)