Les Maudites (2024)

Résister à l’air du temps

Au fil des éditions du Festival, l’éditorial ajuste la focale au plus proche de la production cinématographique de l’année écoulée, des thématiques du moment en Espagne, des invités que nous éclairons d’une manière particulière. L’édito dit aussi le monde, au-delà de la seule Espagne, dont les secousses irriguent les films que nous programmons pour ces neuf jours de Festival. Une focale longue pour le monde et ses convulsions. Une focale plus courte pour les thèmes qui jamais ne doivent paraître mineurs, les exilés en tous sens, les émigrés de force, les combats des classes populaires invisibles, les violences sexuelles et sexistes, les débats autour de la fin de vie, des souffrances tempérées parfois par la résilience, les solidarités multiples et un mélange de gravité et de légèreté dont la culture espagnole a le secret.

Cartographie d’un cinéma foisonnant

Comme dans toutes les cinématographies, les filiations entre cinéastes de différentes générations sont des facteurs-clés pour mettre en évidence la continuité d’une certaine idée du cinéma et de sa transmission. Montxo Armendáriz fait partie de ces maîtres qui ont su tisser un lien étroit avec les nouvelles générations, à partir d’une œuvre poétique et politique enracinée dans la réalité sociale de l’Espagne depuis les années 1980. La restauration de Tasio, à l’occasion de son 40e anniversaire, a confirmé son premier opus comme un classique au niveau international. Il reviendra à Nantes nous le présenter.

Le « je » au féminin

Cette édition fait écho aux productions de l’édition 2024, dans laquelle les femmes réalisatrices prenaient une place importante dans toutes les compétitions. Le cinéma de 2025 se construit, en partie, autour des espaces où les récits de femmes continuent de se déployer, s’imposent, malgré les interdits, à travers des vécus, des combats revendiquant leurs identités multiples et individuelles. Ces autrices explorent des genres et styles divers, affirmant un « je » qui détermine leur travail devant et derrière la caméra (Pilar Palomero, Mar Coll, Belén Funes, Marta Nieto, Alauda Ruiz de Azúa ou encore Icíar Bollaín). Ce « je » s’entend, se lit aussi, dans les planches des autrices bédéistes réunies le temps d’une exposition au titre évocateur : Pardon, je parle. Paroles, récits, revendications que l’actrice Marisa Paredes, disparue récemment, a toujours portés sur la scène, à l’écran et dans l’espace public. Avec sa force scénique, son regard, sa voix grave et pénétrante, sa générosité, elle a incarné la femme espagnole libre, réservant sa rage juvénile pour de multiples combats, dont celui exprimé à Nantes en 2021, en faveur de la culture qui a des résonances particulièrement fortes aujourd’hui : « Il ne faut pas avoir peur de la culture, de la liberté d’expression… mais de l’ignorance du dogmatisme, de la guerre ».

Juan Antonio Bayona, le cinéaste du surréel et de l’intime

Il nous a empêché de dormir avec son premier film, L’Orphelinat (2007), nous a projeté dans le monde de l’enfance, si chère à Armendáriz et à Erice, convoquant d’autres monstres, pour nous replonger dans ses souvenirs et les nôtres dans Quelques minutes après minuit (2016). Bayona nous a fait vivre, à travers le drame intime et le courage insoupçonné d’une famille de touristes, le tsunami de 2004 en Thaïlande dans The Impossible (2012). Il a mis en scène Jurassic World : Fallen Kingdom (2018), avec une réalisation spectaculaire dans la lignée des films réalisés précédemment par Spielberg. Dans Le Cercle des neiges (2023), son dernier opus, il réinvestit le drame inspiré par un fait réel, à savoir le crash d’un avion uruguayen dans la cordillère des Andes en 1972. S’il étudie ici une « société de neige » comme le présente le titre original, il creuse les systèmes qui naissent de nos instincts, de notre soif de survie et de notre peur de la mort, le tout avec une approche universelle que l’on retrouvera, sans doute, dans son prochain film sur la guerre civile espagnole, à partir de l’ouvrage de Manuel Chaves Nogales, un des récits les plus emblématiques sur ce conflit qui ne passe pas…

Debout !

Cette 34e édition propose des rencontres et tables-rondes, un hommage à Marisa Paredes, un invité d’honneur, Juan Antonio Bayona, une exposition à Cosmopolis, un concert au Théâtre Graslin, des projections tous les matins au Katorza accueillant des collégiens et lycéens, des ateliers pédagogiques, une librairie pour se ressourcer, etc. Riche programme, comme si nos moyens budgétaires n’avaient pas été réduits de manière drastique… Comme si les musiques dissonantes de ceux qui souhaitent passer la Culture au tamis de leur obscurantisme ne s’invitaient pas de jour en jour dans notre quotidien. Alors, pourquoi ces manifestations, ces pétitions et ces photos de salles pleines d’un public qui se met Debout pour la Culture ? Parce que c’est debout qu’on affirmera le mieux notre volonté, nos rêves, nos refus, aussi.

Pilar Martínez-Vasseur