Le film noir espagnol : pas de répit pour le crime
À chaque crise, sa réalité crue et corrompue, ses contradictions, sa veine vénale et son ambivalence morale. De chaque changement brutal naissent des films noirs, presque documentaires, dénonçant une société traversée par un mal-être spécifique. Et l’Espagne n’est pas en reste.
Tout d’abord, dans les années 50, avec le cinéma policier catalan de Julio Salvador (Apartado de correos 1001) et Ignacio F. Iquino (Brigada Criminal) ou encore le très ‘fritz languien’ El cebo de Ladislao Vajda. Cette Espagne d’après-guerre que Juan Antonio Bardem chronique dans l’incontournable Muerte de un ciclista. Il faut ensuite attendre la Transition pour que rejaillisse le meilleur du film noir national avec notamment El crack de José Luis Garci, qui dénote l’empreinte de la fin du franquisme, des relents du passé, d’un monde encore confus et d’un Madrid encore sombre.
Dans les années 90 et 2000, Agustín Díaz Yanes (Nadie hablará de nosotras cuando hayamos muerto), Enrique Urbizu (La caja 507 et No habrá paz para los malvados) et Daniel Monzón (Celda 211) revisitent ce genre à part, convoquant alors l’univers carcéral, le banditisme et l’argent. Toujours ancré dans l’idiosyncrasie espagnole, ses traditions, ses mœurs et ses travers. S’émancipant des influences américaines.
Le film noir espagnol est le plus souvent urbain, violent, viril, masculin, offrant une vision pessimiste du monde, avec un délit, un crime en toile de fond. Au cours de ces dernières années, La isla mínima d’Alberto Rodríguez (2014) en est l’un des meilleurs exemples : la critique et le public sont au rendez-vous aussi bien en Espagne qu’en France. Un nouveau frisson se fait sentir. Comme un besoin de certains cinéastes de dépeindre les contradictions et la face obscure de leur pays par le biais du noir, du genre, du combat contre le mal, de détectives dans la tourmente.
Les Goya 2017 en sont le meilleur miroir, répartissant de nombreuses statuettes aux films noirs du moment. La corruption et la quête de pouvoir à n’importe quel prix, avec ce qu’elles comportent d’immoralité, traversent El hombre de las mil caras d’Alberto Rodríguez et Insiders (Cien años de perdón) de Daniel Calparsoro. Le pouvoir à tout prix et la limite que certains sont prêts à franchir. Il reste alors un ingrédient inhérent au film noir : la vengeance, moteur de Tarde para la ira de Raúl Arévalo – acteur dans La isla mínima, passé pour la première fois derrière la caméra. On retrouve à nouveau Madrid, caniculaire et rugueuse, agissant comme un troisième homme, à l’image du Que Dios nos perdone de Rodrigo Sorogoyen, plus psychologique. Le Festival célèbre donc cette année un genre incontournable de la cinématographie espagnole, devenu à travers les décennies presque indispensable pour toucher au plus près l’essence d’une culture voisine.