Ruptures d’hier et d’aujourd’hui
Le cinéma, parmi d’autres formes d’art, a toujours cultivé le talent des portraits. Portraits individuels et portraits collectifs, selon de multiples approches qu’une hâtive mais parfois nécessaire distinction séparerait entre fictions et documentaires. Portraits individuels d’hommes et de femmes qui ont en commun d’être réalisateurs de films et d’être membres d’un collectif que l’on appelle le cinéma espagnol. Fernando León de Aranoa, Gracia Querejeta, Icíar Bollaín, José Luis Guerín, Cesc Gay, Imanol Uribe, Alejandro Amenábar, Carlos Saura, Fernando Fernán Gómez, entre autres, en font partie. Ce cinéma présent en 2016 sur les écrans du cinéma Katorza et de l’Opéra Graslin « raconte » bien davantage encore que ce que « racontent » les films pris un par un. Parce qu’il associe toujours, quoique de façon très plurielle, le geste individuel et le travail collectif, la construction d’un récit et l’enregistrement d’éléments de la réalité, la création d’un imaginaire, la trace d’êtres vivants mais aussi les retours douloureux vers la mémoire. Le cinéma espagnol produit en 2015 fabrique, en plus de ce que font les 60 films de l’édition un par un, une projection de la collectivité dont ils sont issus.
L’ailleurs est partout
Nombreux sont les films de cette édition se penchant vers de lointains intérieurs pour mieux ausculter le territoire national : A perfect day (Un jour comme un autre) de F. L. de Aranoa, Walls de P. Iraburu et M. Molina, Les exilés romantiques de J. Trueba, Truman de C. Gay, Lettres à Maria de M. García Ribot, Un automne sans Berlin de L. Izagirre, comme si ce cinéma, qui cultive l’art du rapprochement, avait la phobie du trop proche.
Si d’un côté certains cinéastes quittent les rivages nationaux, d’autres signent des œuvres en prise directe avec les réalités qui secouent toujours l’Espagne : les conflits sociaux et politiques, la précarité, les « délogés », la corruption : Rien en échange de D. Guzmán, Le gîte et le couvert de J. M. del Castillo, L’inconnu de D. de la Torre, Pikadero de B. Sharrock, On n’est pas seuls de P. J. Ventura, Loin de la mer de I. Uribe. Ces cinéastes se font présents là où on n’ose plus l’être.
Il est aussi d’autres voyages : L’académie des muses de J. L. Guerín, La mariée de P. Ortiz, Grand-mère de A. Altuna, Le football de S. Oksman, documentaires et fictions représentant la plus inventive refonte des anciens paradigmes associant révolution esthétique et questionnements cinématographiques. L’intérêt de l’ensemble de ces œuvres n’est pas tant d’explorer l’ailleurs que de l’inviter au cœur de l’ici pour mieux nous le faire partager.
Les désastres d’une guerre (1936-2016)
Le conflit connu en France sous le nom de « Guerre d’Espagne » représente une des plus saisissantes tragédies du XXe siècle. Il est, 80 ans après, toujours dans les mémoires de l’Espagne et d’ailleurs porteur d’une charge émotionnelle qui imprègne tout discours sur la guerre et que les conflits des Balkans et de Syrie ne font que raviver. Dans l’immense production cinématographique née de cet évènement une douzaine de films ont été retenus, montrant que les combats de la caméra furent aussi violents que ceux des armes.
Faire un grand travelling arrière pour découvrir les ressorts cachés d’une époque, braquer son regard sur ces minutes fixées sur la pellicule pour appréhender le monde, s’attarder sur les rêves de générations qui dessinent une trame, une histoire, un vécu.
Pilar Martínez-Vasseur