Soixante manières de voir le cinéma espagnol : 2006-2007
Moins protégé par l’État que le cinéma français (une nouvelle loi est à l’étude en ce moment) et moins populaire dans son propre pays (le dédain envers ce que l’on appelle outre-Pyrénées «l’espagnolade» est toujours de rigueur), donc plus fragile, le cinéma espagnol a su néanmoins profiter de l’embellie économique et sociale de la fin du XXe siècle. Alors que dans les années 80 se tournaient entre 35 et 63 films par an en Espagne, la production annuelle n’a cessé d’augmenter dans les années 1998-2000 : 65 en 1998, 107 en 2001 pour atteindre le chiffre le plus élevé depuis 25 ans en 2006 : 150 (dont quarante documentaires).
Génération 2006
Si la période réellement significative du renouveau du cinéma espagnol se situe entre 1996 et 2000 (Medem, Amenábar, Álex de la Iglesia, Isabel Coixet, Fernando León de Aranoa…), 2006 aura été l’année où toute une pléiade de nouveaux réalisateurs a fait irruption dans le secteur avec des premiers films encensés par la critique, plébiscités par le public et primés dans de nombreux festivals : Daniel Sánchez Arévalo, Azul, Jorge Sánchez Cabezudo, La nuit des tournesols, Javier Rebollo, Ce que je sais de Lola, Isaki Lacuesta, La légende du temps, Carlos Iglesias, Un franc, 14 pesetas, Albert Serra, Honneur de cavallerie, Iñaki Dorronsoro, La distance. Des films travaillés par les enjeux esthétiques les plus contemporains, là où se rejouent à nouveaux frais les relations entre images et récits, entre le «sujet», le récit et le personnage. Ils seront tous à l’écran, réunis spécialement pour cette 17e édition.
Le cinéma espagnol en 2006 fut aussi une mine de nouveaux visages : Bárbara Lennie, Femmes dans le parc, (et visage de l’affiche 2006), Alejo Sauras (Bienvenue à la maison), Quim Gutiérrez (Azul), Yohana Cobo (Volver), Yvana Baquero (Le labyrinthe de Pan), Javier Gutiérrez (Un franc, 14 pesetas), des comédiens qui partent chez leurs aînés où qui rejoignent des tournages internationaux. L’année 2006 aura été riche en films politiques ou qui nous plongent dans l’Histoire comme un miroir que l’on tend à l’actualité : Salvador, de Manuel Huerga, Le labyrinthe de Pan de Guillermo del Toro, Les perdants de Driss Deiback, Le train de la mémoire de Marta Arribas et Ana Pérez et, enfin, 2006 aura été marquée, malgré le poids des ans et du succès, par le Volver de Almodóvar à l’esprit de ses premiers films, hommage aux femmes sur fond de réalisme social et de surnaturel et «Retour» surtout aux sources de sa terre natale : La Mancha.
Cette 17e édition s’affiche avec toujours autant de projections et de regards (60), autant de cycles (Migrations, Droits de l’Homme, …), avec un hommage (Alberto Iglesias), une rétrospective (Les classiques du cinéma espagnol, présentés par Fernando Trueba…), une leçon de cinéma (Frédéric Strauss), des rencontres, des ouvrages et une exposition de photographies peintes par le réalisateur Carlos Saura présent à la clôture avec son dernier film Iberia.
Faire éclater les genres et s’en donner les moyens, innover sans oublier les héritages, s’emparer des univers avec rage et passion, le cinéma espagnol sait aussi le faire : la clé du succès national et international peut être là.
Pilar Martínez-Vasseur