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15 ans de cinéma espagnol à Nantes : une histoire en temps réel

L’année dernière le Festival avait été touché, comme beaucoup de citoyens, par les attentats du 11 mars à Madrid. Une manifestation culturelle devint en même temps un lieu de parole, d’échanges, de débats et de solidarité avec un pays meurtri par la violence, d’abord, la manipulation, ensuite. Le cinéma traversait l’écran, s’affichait dans la rue. Les passerelles qui reliaient la représentation politique et sociale à la représentation cinématographique s’étaient ouvertes, elles le restent en cette année 2005.

Un cinéma de frontières

Frontières entre les supports narratifs et les focalisations du récit (Hors du corps, de Vicente Peñarrocha), entre les genres qu’ils abordent et transgressent (Ce qui fait que la vie…, de Gómez Pereira et Thon et “chocolat” de Pablo Carbonell), entre les styles qu’ils adoptent et qu’ils abandonnent. (Insconcients, de Joaquín Oristrell, Naïfs, de Miguel Bardem). Mais aussi pour les frontières qu’ils établissent entre le dit et le non-dit, entre l’explication et les contours du mystère (Astronautes, de Santiago Amodeo, La faiblesse du bolchévique, de Manuel Martín Cuenca), entre la réalité et le rêve, entre le rêve et le cauchemar, entre la vie et la mort (Le septième jour, de Carlos Saura qui signe ici son 35e long métrage). Frontières franchies et abolies, styles controversés et dépassés font de Cachorro, de Miguel Albaladejo, un film libre et essentiel pour cette 15e édition.

L’art de la mise en spectacle

Dans cette peinture collective qu’a été et demeure le cinéma espagnol, les films d’Almodóvar et Amenábar cultivent en même temps une pensée de l’homme et de l’art à ce point irréductible à la récupération idéologique qu’elle devient en soi une arme politique.
Avec Mar adentro, Alejandro Amenábar n’a pas choisi un sujet facile. Ni consensuel puisqu’il s’agit du droit à l’euthanasie. Inspiré d’une histoire réelle, qui défraya encore plus la chronique que la mort de Vincent Humbert en France. Par la mise en abîme de Javier Bardem, Amenábar rend compte de la lutte face à la Justice, à l’État, à l’Église, de Ramón Sampedro, tétraplégique, une lutte qui n’aura qu’un objectif : mourir pour vivre. La mauvaise éducation, premier film de Pedro Almodóvar où le réalisateur se raconte à l’imparfait.
Ce cinéaste féru de présent fait un retour sur son passé encore proche, celui de la movida où l’Espagne retrouve liberté et démocratie. A cette re-création se greffe une autre période : le franquisme, régime de la peur, des châtiments et de la “mauvaise éducation”. Dans ce film, l’enfance pèsera aussi lourd que les souvenirs d’une époque où l’épouvante de l’éducation religieuse d’alors n’avait rien à envier à la terreur politique. Il restera de cette 15e édition, avec ses quarante films et autant de réalisateurs, dont seulement une petite poignée aura une reconnaissance internationale, l’espoir que dans le jeu des exceptions culturelles et de la “mondialisation américanisante” le cinéma espagnol parvienne à sauver ses bobines, dans toute son incroyable vitalité et sa frêle autonomie.

 

Pilar Martínez-Vasseur