Le temps d’une transition
20 films. 15 jours et 3 générations de réalisateurs (Buñuel, Berlanga, Saura, Camus, Gutiérrez Aragón, Bigas Luna) pour découvrir le cinéma qui se fait en Espagne depuis 1980, avec comme point fort cette année le cinéma des femmes autour de trois réalisatrices: Pilar Miró, Rosa Vergés, Arantxa Lazcano.
De l’Espagne on connaît aujourd’hui les mélodrames kitch et provocateurs d’Almodóvar et on se souvient à juste titre de l’anticléricalisme provocateur de Buñuel.
Mais dans ce panorama trop rapide on oublie toujours une veine du cinéma espagnol très riche depuis 1975, qui dessine des destins individuels tout en brossant le tableau d’une époque. C’est dans cette lignée que doivent être placés, notamment, le film de Mario Camus Ombres dans une Bataille, dans lequel le cinéaste aborde la question du/des terrorisme/s en Espagne ou encore les quatre principaux films réalisés par Gutiérrez Aragón depuis 1980: Maravillas, Démons dans le jardin, La moitié du ciel et Malaventura.
Mais ce panorama resterait incomplet si nous n’évoquions pas les nombreux films qui ont trait au passé proche du pays. Certains d’entre eux l’abordent de façon tragique: ¡Ay Carmela! de Saura et La Casa de Bernarda Alba de Mario Camus sont de ceux-là. Si Carlos Saura règle enfin ses comptes avec ce passé qui le hante, Camus, après Les Saints Innocents et La Colmena– veut récupérer la mémoire de ce temps qui fut longtemps escamoté.
Autre façon de se confronter aux vieux démons que l’histoire de l’Espagne a engendrés: les exorciser par l’humour noir, ou la caricature, Attends-moi au Ciel d’Antonio Mercero se situe donc aux confins du vaudeville et de la parabole édifiante, participant à la fois des enseignements de l’une et de la drôlerie de l’autre.
Berlanga qui s était déjà illustré depuis les années 50 par ses critiques caricaturales de la société espagnole (Le Bourreau) entreprend en 1984 le tournage de La Vaquilla. Le film, qui est finalement sorti sur les écrans trente ans après la rédaction du premier scénario et cinquante ans après le début de la guerre civile, a connu un succès extraordinaire en Espagne; Berlanga osait présenter la guerre comme une énorme farce. Il s’agissait de tourner la page, de montrer que les combattants des deux bords avaient été peut-être des héros, mais surtout des victimes.
C’est toujours l’humour, l’ironie, le goût de la farce qui servent de point d’ancrage au réalisateur catalan Bigas Luna pour construire sa trilogie de portraits ibériques: Jambon Jambon, Macho et Le Téton et la Lune, sont des eaux-fortes, non seulement sur les individus mais surtout sur l’Espagne traditionnelle et sur la Catalogne de « castellets y calçots ».
Trois réalisatrices, Pilar MIRÓ, Rosa VERGÉS et Arantxa LAZCANO pourraient à elles seules faire la synthèse de ce nouveau cinéma espagnol.
Pilar MIRÓ commence sa carrière en 1976, alternant des films sur l’histoire de l’Espagne (Le crime de Cuenca, Beltenebros) avec toute une série de production (dont Werther) qui a pour thème la réflexion sur la femme, la solitude et le silence.
Rosa VERGÉS, quant à elle, rejoint la comédie, genre traditionnel du cinéma espagnol, mais avec beaucoup de subtilité et de finesse. Comme dans ses deux films: Boom Boom (1990) et Souvenir (1994).
Dans Les années Obscures, premier long-métrage d’Arantxa LAZCANO, la réalisatrice choisit de faire revivre son enfance, au Pays Basque dans les années 50, se rapprochant ainsi de ces générations de cinéastes et intellectuels espagnols qui, par le biais de l’autobiographie, ont essayé de mettre fin aux « longues vacances de la mémoire ».
Iconoclaste et passéiste, le cinéma Espagnol des années 1980-90 est à l’image de cet esprit fin de siècle et trouve son authenticité dans son désir de ne pas en avoir.
Pilar Martínez-Vasseur