Vers d’autres mondes
Tout commençait sur une route d’auto-stop au soleil aveuglant de 2010. Nantes pour destination. Le long plan-séquence d’une voiture pleins phares dans la nuit d’une ville ? C’était en 2011. Au centre de l’image, biffant la réalité de cette vue déjà lointaine, trois silhouettes franchissent, cette fois-ci, un pont. La caméra n’est pas là pour voir au dehors. Nous sommes devant un cadre paysage éclairant le printemps 2012 : la 22e édition du Festival du Cinéma Espagnol de Nantes vous invite à pénétrer dans les salles de cinéma, à arpenter la ville et nos imaginaires, les affiches annonçant les écrans, ceux-ci ouvrent sur un ailleurs insaisissable.
Paysages hors cadre
Le cinéma espagnol, le cinéma et la culture en général n’ont ni vocation ni capacité à résoudre la crise, les crises. Par contre, la production espagnole 2011-2012 a cela de vraiment particulier qu’elle interroge les crises, de fictions en documentaires, leurs raisons, leurs complices ou ceux qui en sont simples acteurs, c’est-à-dire nous-mêmes. L’Espagne, vue de loin, paraissait « universelle » aux amateurs d’un folklorisme qui n’était que la pétrification d’une image vide. L’Espagne des « indignados » est, elle, lestée d’un « universalisme » autrement plus puissant, puisqu’il témoigne d’une crise internationale, d’un questionnement qui balaie les frontières, toutes les frontières. Et le cinéma espagnol de 2011-2012 se fait, lui, l’écho de cet « état du monde » qui vient bousculer plus que les seuls clichés, mais les valeurs mêmes de nos vies, parfois des survies. Il est significatif que dans ce pays voisin où le poids de l’Histoire, de la mémoire, est – nous le verrons dans certains des films – bien plus prégnant qu’en France, la vie soit allée « plus vite » (la transformation de la société), « plus rapide » (la bulle de l’immobilier), « plus folle », aussi, puisque la chute est violente. Et qu’elle interroge notre propre quotidien : prémisse en deçà des Pyrénées… ?
Le Festival du Cinéma Espagnol de Nantes veut être témoin, propose un regard, mais se défie des prismes déformants : mieux regarder un pays doit simplement contribuer à mieux sentir ce qu’il éveille en nous. Ainsi, N’aie pas peur, de Montxo Armendáriz, Rides, de Ignacio Ferreras, Iceberg, de Gabriel Velázquez, De ta fenêtre à la mienne, de Paula Ortiz, La porte de non retour, de Santiago Zannou, Madrid, 1987, de David Trueba, Katmandou, un miroir dans le ciel, de Icíar Bollaín, Marché d’avenirs, de Mercedes Álvarez, ou encore Cinq mètres carrés de Max Lemcke, réécrivent, parfois avec humour, mais toujours avec des sensibilités et des langages fort différents, les images-récits d’une histoire et d’une géographie sans cesse réinventées.
Cette 22e édition, telle que nous l’avons construite, ne se réduira pas au seul programme qui la présente ; « les autres mondes », ceux de la rencontre et de l’imaginaire, de la révolte et des émotions, du travail de mémoire et de la lutte contre l’oubli (La voix endormie, En écoutant le Juge Garzón, Au bout du tunnel, 23-F, Les constituantes, Ispansi, Soldats de Salamine, l’hommage à Jorge Semprún), participent de cette volonté de donner à voir et à comprendre.
À partir du 15 mars, venez rêver d’ailleurs. Bon Festival.
Pilar Martínez-Vasseur