Invitée de ce 21e Festival du Cinéma Espagnol de Nantes, l’actrice espagnole était à Nantes du 25 au 26 mars.
ÁNGELA MOLINA : UN REGARD VENU D’AILLEURS
Début des années 80. Nantes, à peine éveillée, accueille sans s’en apercevoir une jeune actrice espagnole entre ses murs. Ángela Molina y passera deux années de sa vingtaine avant de s’installer à Madrid où elle réside toujours aujourd’hui. Trente ans plus tard, le Festival du Cinéma Espagnol de Nantes rend hommage à cette « Nantaise venue d’ailleurs », seule actrice à avoir tourné pour Almodóvar et Buñuel et donc de retour en chair et en os dans les salles aussi obscures que le désir éprouvé par Fernando Rey dans le dernier long-métrage de Buñuel, Cet obscur objet du désir, réalisé en 1977. La Madrilène affole et hypnotise le maître de Calanda, désarmé par son regard. Il ira même jusqu’à lui déclarer sa flamme en plein tournage dans un « Molina, je l’aime » qui résonne encore aujourd’hui dans la longue, atypique et exigeante trajectoire de l’actrice.
Un regard, une illusion. Un voyage en quatre étapes, quatre films, quatre façons de regarder le cinéma d’Ángela Molina.
Fille d’une vedette du cinéma et de la musique espagnole à qui elle dit tout devoir, Antonio Molina, Ángela se destine plutôt à la danse classique, un diplôme dans la poche de ses seize ans et d’ores et déjà des cours dispensés dans l’Hexagone. Pourtant, trois ans plus tard, au terme d’une formation à l’École Supérieure d’Art Dramatique de Madrid aux côtés de Pilar Miró, et d’une série de portraits magnétiques dans le magazine de cinéma Fotogramas, sa beauté irradie déjà le septième art espagnol dans ce qui sera sa première apparition devant une caméra, en l’occurrence celle de César Fernández Ardavín, dans No matarás.
Depuis lors, Ángela Molina a tourné pas moins d’une centaine de films, en Espagne mais aussi dans le reste de l’Europe, notamment dans une Italie d’adoption, (Buone notizie, Elio Petri ; Les yeux de la bouche, Marco Bellochio ; Baarìa, Giuseppe Tornatore ; L’Homme qui a perdu son ombre, Alain Tanner). Sans oublier un embarquement pour l’Outre-Atlantique (1492, Christophe Colomb, Ridley Scott). Elle a par ailleurs présidé les jurys de deux des festivals de cinéma les plus importants : Cannes (‘Un certain regard’) et Berlin.
Cette adolescence passée sur la pointe des pieds est sans nul doute pour quelque chose dans l’élégance de l’actrice.
Son enfance au sein d’une famille d’artistes, accompagnant parfois son père dans ses tournées, explique aussi son don pour le chant. Un éventail de talents que Jaime Chávarri saura d’ailleurs mettre à profit en 1988 dans Les choses de l’amour / Las cosas del querer lorsqu’il met la Madrilène au cœur de cette comédie musicale. Lui qui la filmait déjà, la même année que Buñuel, dans A un dios desconocido, quelques mois après que l’actrice ait tourné pour Jaime Camino dans Las largas vacaciones del 1936. 1977 est aussi l’année de sa rencontre avec Manuel Gutiérrez Aragón dans Camada negra. Elle passe à trois autres reprises derrière sa caméra : El Corazón del bosque, Demonios en el jardín, La mitad del cielo en l’espace de dix ans. Pour son interprétation dans ce dernier, le jury du Festival de Cinéma International de San Sebastián lui remet en 1986 le Prix de la Meilleure Actrice.
Le cinéma de Gutiérrez Aragón, abordant par l’allégorie l’Espagne franquiste, emmène notre invitée vers de nouveaux personnages à dimension historique et marquera à jamais sa façon d’envisager le métier.
Sa sensualité convainc aussi José Luis Borau qui fait appel à elle pour La Sabina et le Catalan Bigas Luna qui en fait une Lola tiraillée entre deux hommes plus mûrs.
Cette dernière et troublante expérience est vécue par l’actrice comme la mort du cygne, comme un opéra, comme une danse destructrice. Une impasse amoureuse dans laquelle elle se trouve de nouveau dans En chair et en os / Carne trémula de Pedro Almodóvar. C’est en professeur de danse particulière qu’Ángela Molina devient une « chica Almodóvar » – après avoir décliné l’offre du réalisateur de la Mancha pour Talons aiguilles. Elle campe ici une femme battue et perdue dans un thriller tragique et un Madrid en pleine mutation. « Pedro me donne toujours plus que je ne l’espère », dit-elle de celui qui la filme une seconde fois dans Étreintes brisées / Abrazos rotos en 2009. Ángela Molina ajoute à sa carrière un autre personnage de femme, toujours forte, troublée ou troublante, brisée par la vie ou redonnant vie. Elle qui travaille toujours à partir de l’imagination et du souvenir pour embrasser un rôle. Elle qui va parfois laisser transparaître ses racines andalouses, que ce soit dans Las cosas del querer, La Sabina. Elle est cette année à l’affiche de Carne de Neón (Paco Cabezas) et de Petites vies / Vidas pequeñas (Enrique Gabriel).
La fin des années 70 a donc vu émerger un nouveau visage dans le cinéma espagnol, aux côtés de Carmen Maura, Ana Belén ou Victoria Abril, figures de proue d’une génération d’actrices qui inspireront les cinéastes les plus talentueux de la péninsule. Des muses qui ne se sont pas enfermées pour autant dans un univers, un rôle ou le désir d’un pygmalion ; mais qui au contraire ont prêté leur talent à tous les genres et les registres possibles.
« Une femme passe entre mille et celle-là seule concrétise vos rêves et vos illusions », (El, de Luis Buñuel – extrait de dialogue). Notre regard l’a choisie. Vos regards et le sien se croiseront, ici, à Nantes, le temps de quatre histoires, le temps d’une rencontre éphémère.
Les 4 films de la Carte Blanche
- Cet obscur objet du désir / Ese oscuro objeto del deseo, Luis Buñuel
- Démons dans le jardin / Demonios en el jardín, Manuel Gutiérrez Aragón
- En chair et en os / Carne trémula, Pedro Almodóvar
- Petites vies / Vidas pequeñas, Enrique Gabriel
Cosmo-rencontre
avec Ángela Molina
Vendredi 25 mars / 22h Espace Cosmopolis (entrée libre)