Quand le cinéma pirate le réel
Une nouvelle édition consacrée au cinéma espagnol commence le 28 mars et se termine le 8 avril 2018, à Nantes.
Quels seront les fictions, les documentaires, les premiers films, les courts-métrages à découvrir ? Quels seront ces instants rares où l’écran cesse justement d’être un écran séparant les uns des autres, où le spectateur comprend soudain d’autres langues, participe à des légendes d’un autre temps, à des rencontres, circule à travers des villes ou des villages ou encore à travers des paysages qu’il n’a jamais vus mais qu’il reconnaît parfaitement ? Ainsi, pendant quelques secondes, on se découvre écrivain à la recherche d’inspiration dans L’auteur (El autor), de Manuel Martín Cuenca, libraire dans les années 50 dans un village anglais : La librairie (The Bookshop), de Isabel Coixet, étudiante Erasmus à Berlin, dans Julia Ist, de Elena Martín, idiot de droite ou de gauche à Madrid en 2016, dans Selfie de Víctor García León, géant basque dans l’Europe du XIXe siècle dans Handia de Jon Garaño et Aitor Arregi, membre d’un commando de l’ETA en pleine Coupe du Monde en 2010 à Madrid dans Fe de etarras, de Borja Cobeaga ou encore dans une Gloire incertaine : celle que deux soldats poursuivent sur le Front d’Aragon en pleine Guerre civile dans le film de Agustí Villaronga.
Humeur / Humour
« Voilà presque cinquante ans que, dans le noir, le peuple des salles obscures brûle de l’imaginaire pour réchauffer du réel » écrit Jean-Luc Godard dans ses Histoire(s) du cinéma. Si l’on regarde vers une partie de la programmation de cette édition 2018 il se vérifie, une fois encore, que la fable cinématographique s’invite sur le terrain du Politique, les deux sphères se livrant de longue date en Espagne une âpre concurrence dans le domaine de la maîtrise des images.
Mais on le sait aussi, au commencement était le verbe moqueur. La malice des Buñuel, Berlanga, Trueba, Almodóvar, Bigas Luna, José Luis Cuerda, Álex de la Iglesia, Pablo Berger, Santiago Segura, Paco León, Víctor García León, Borja Cobeaga, etc. vit souvent en mauvaise intelligence avec les différentes formes de pouvoir et s’accorde le droit de rire de tout et avec le plus grand nombre. Le rire désacralisant la bêtise, exorcisant la guerre, la misère, la mort, sera au cœur du cycle « Rires et délires dans le cinéma espagnol », avec une quinzaine de films des années 1950 à nos jours et une exposition sur Enrique Jardiel Poncela, le rire intelligent.
Au féminin pluriel
Un hommage sera rendu à la réalisatrice Isabel Coixet, qui est devenue, avec son dernier film, La librairie (The Bookshop) la réalisatrice la plus récompensée en Espagne et la plus reconnue internationalement. Coixet incarne cet âge du cinéma où la cartographie s’est ouverte de manière irrémédiable au monde entier, épousant en même temps tous les genres et formats cinématographiques. Il est difficile de concevoir notre rapport à la complexité du monde et au cinéma aujourd’hui sans tenir compte de la place de la fonction esthétique et éthique qui est celle de cette réalisatrice et de son œuvre.
2018 promet un bouillonnement dans ses multiples propositions, elles le seront en espagnol, en catalan, en basque et en anglais. Le Festival reste toujours attentif à l’enjeu esthétique et au contenu de cette nouvelle reconfiguration portée par l’arrivée en salles, et pour la deuxième année consécutive à Nantes, d’une série télévisée, La honte (Vergüenza), signée par deux grands réalisateurs, Juan Cavestany et Álvaro Fernández-Armero avec l’acteur Javier Gutiérrez. Le Festival a pour but d’être, à son échelle, un carrefour de ces évolutions, avec, cette année, une place importante aux débats, rencontres et tables rondes sur les enjeux des Festivals de cinéma, le rôle de la critique cinématographique, la bande dessinée ou encore les métiers du sous-titrage dans l’audiovisuel.
Et, pour jouer à saute-frontières entre les genres artistiques et entre les pays, pour rêver à de nouveaux mondes, la 28e édition vous propose un concert unique du chanteur Cali, dont l’histoire familiale est liée à la Guerre d’Espagne, concert au Théâtre Graslin, le 30 mars.
Pilar Martínez-Vasseur