Édition 2024, combien d’espèces d’abeilles ?
Dans cette époque où il semble parfois bien difficile de regarder l’horizon avec espoir, le cinéma espagnol persiste, faible lumière, à produire des films en quantité non négligeable (autour de 300 par an), dans une nécessité impérieuse de créer, de faire vivre les mémoires, de surmonter les crises. Víctor Erice, référence incontournable, y côtoie Isabel Coixet, Manuel Martín Cuenca, David Trueba dans une continuité fertile, aux côtés d’une nouvelle génération, celle de Víctor Iriarte, Jaione Camborda, Javier Macipe…
Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater qu’il n’a jamais été autant question d’hybridités dans les genres cinématographiques, de cohabitation de langues, de bandes-son et de lieux que dans cette édition 2024. À noter aussi les échanges fructueux entre romans graphiques (Paco Roca), et cinémas d’animation, avec en tête des noms comme Fernando Trueba, Alberto Vázquez, Pablo Berger qui signe également Blancanieves (2013), film muet offrant en sous-main une vue en coupe de l’Espagne des années 1920. Il prendra vie sous forme de symphonie cinématographique à l’Opéra de Nantes.
Les réalisatrices sur place !
Les femmes, productrices et réalisatrices ont, à nouveau, une présence accrue dans la cinématographie espagnole (26 % en 2023, 19 % en 2015). Elles signent des récits autobiographiques autant que sociologiques et n’oublient pas de solder en même temps les tabous autour de la sexualité féminine, le genre, l’enfantement, les rôles imposés par une éducation patriarcale. Ces thématiques universelles, et locales en même temps, sillonnent leurs films : Un amor d’Isabel Coixet, O Corno, une histoire de femmes de Jaione Camborda, Chinas d’Arantxa Echevarría, 20 000 espèces d’abeilles d’Estibaliz Urresola Solaguren. C’est là justement la liberté de ces fictions : pouvoir tout oser, tout transgresser sans besoin de théoriser la moralité.
Víctor Erice, une parole en forme de silences
En 1973 sort sur les écrans espagnols L’Esprit de la ruche, le film marque une date-clé dans l’histoire du cinéma. Évocation de l’Espagne de 1940, le réalisateur y met en scène, dans cette ode à l’enfance, le premier film sous le signe de la peur et de la sidération d’une société cloisonnée dans les alvéoles rigides du franquisme.
En 2023, Erice signe son quatrième longmétrage, Fermer les yeux, spirale baroque qui renoue pour l’essentiel avec son premier opus autour de la quête du temps, la mémoire et sa déclaration d’amour aux pouvoirs poétiques et magiques du 7e art. Son héritage imprègne les œuvres d’une nouvelle génération de cinéastes : Estibaliz Urresola Solaguren, 20 000 espèces d’abeilles, Carla Simón, Été 93, Nos soleils en font partie. Que ces quelques mots adressés par cette dernière à Víctor Erice, lors de la sortie de son dernier film, puissent contribuer à lui rendre hommage à Nantes : « Je dois, cher Víctor, en grande partie mon amour pour le cinéma à ton Esprit de la ruche, à ton Sud et à ton Songe de la lumière. À tes fillettes et à leurs yeux. À tes silences et à ta musique. À ta mémoire historique remplie d’objets… Au regard de tes personnages. Gracias, maestro ».
Pilar Martínez-Vasseur